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Paris

J'ai connu Paris enfant, au temps de l'école communale dans le quartier de la Fourche où se dresse l'église Saint-Michel évoquée dans Mon ami Pierrot , puis à quatorze ans dans le triste XVIIème arrondissement que je fuyais le plus souvent possible pour la maison d'Effondré.
Le Quartier Latin existait encore dans les années soixante, avec ses cafés, ses cinémas bon marché, ses libraires où je passais des heures à lire debout les livres que je ne pouvais m'acheter. Comme chacun sait, le Quartier Latin ainsi que ceux de Saint-Germain-des-prés et de l'Odéon ont explosé après mai 68, vidés de leurs étudiants, livrés au tourisme et au commerce du vêtement, recouverts par une épaisse chape de bitume. Pompéi a eu plus de chance que le boulevard Saint-Michel. Cette catastrophe historique et culturelle m'a inspiré la fiction ironique et désolée d' Esprit de mai.
On pourrait en dire autant de la Place des Vosges où j'ai habité dix ans, de 1971 à 1981. André Malraux avait déjà sauvé le Marais de la destruction, mais la spéculation immobilière n'avait pas encore chassé les anciens habitants peu fortunés. Il y avait des pauvres sous les toits pointus de la Place et des gens plus aisés aux étages nobles en dessous. Simenon avait vécu un temps au n° 21, dans l'hôtel de Richelieu où j'occupais un deux-pièces mansardé et certains de mes voisins se souvenaient de ce locataire original qui laissait parfois ses manuscrits accrochés au clou des toilettes communes au fond du couloir. Le Marais était alors un quartier populaire, vétuste, aux rues sombres et humides où l'air en hiver s'imprégnait d'une odeur de moisissure suave comme à Venise, le mystérieux et doux parfum des ruines. La Place des Vosges était à mes yeux un carré magique, le centre du monde. Un été, rue de Thorigny, le cirque Gruss planta sa tente dans la cour de l'Hôtel Salé (futur musée Picasso) avec ses chevaux et une éléphante. Ce fut le point de départ de mon premier roman, Vaulascar .
Le suivant, Passage de la Main d'or , emprunte son titre et son décor à l'une des ruelles obscures du faubourg Saint-Antoine qui,   disait-on, tenait ce nom d'une auberge où des rebouteux   avaient exercé autrefois leurs talents de magnétiseurs. Pour mon troisième roman, Fantôme d'une puce , je revins une dernière fois à la Place des Vosges. Le héros (qui loge chez moi dans cette histoire) recherche en vain la jeune fille qui l'a quitté, erre entre la Place et le bar du Cirque d'Hiver, se lie d'amitié avec un prestidigitateur, apprend à tirer les cartes sans trop y croire.
Le charme du carré de briques et d'ardoises commençait de s'évanouir, du moins pour moi, à cause d'un chagrin sans doute, aussi parce que le quartier soumis à une restauration intensive perdait son visage d'avant. Les artisans et les petits commerçants incapables de résister à la hausse des loyers s'exilaient, remplacés par des antiquaires, des boutiques à la mode. Un nouveau ghetto, dynamique et « branché » selon la terminologie de l'époque, s'installait à l'est du Centre Beaubourg. Il était temps d'abandonner ma Venise parisienne à son naufrage et de gagner la rive gauche.
J'ai utilisé dans divers romans d'autres lieux de Paris, comme la rue Buffon où se trouvaient les réserves du Musée d'Histoire Naturelle et leurs collections de monstres ( L'objet perdu de l'amour ) ou les Catacombes au fond desquelles s'achève le périple singulier de Vaulascar .

le clown Cinquevalli
Par ailleurs, faute de pouvoir rendre à la banlieue le même hommage que Cendrars, celle-ci ayant malheureusement disparu sous le béton (je n'ai eu qu'à peine le temps d'assister à la destruction du vieux Nanterre au cours de l'année où j'allais en vélomoteur à la faculté qui sortait de la boue), j'ai néanmoins pris pour cadre de deux romans les communes relativement privilégiées de Malakoff ( Loin des forêts ) et de Meudon ( L'interprétation des singes ) ; deux mondes différents, autonomes, avec leur personnalité propre, certes, mais qui sont trop proches de l'astre Paris pour ne pas subir sa force d'attraction.

Gravure de l'éléphant monumental qui devait orner la Place de l'Etoile et ne fut jamais construit
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