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Les étoiles esthétiques

« Esthétiques », parce qu'il n'y a pas que les étoiles de la peinture en jeu dans un univers, mais aussi la sculpture, l'architecture, entre autres, et que l'adjectif « plastiques » évoque trop d'objets industriels et laids, non biodégradables de surcroît. J'ai vu mes premières oeuvres d'art comme tous les écoliers, en reproduction dans les manuels scolaires. Louis XIV peint par Rigaud, la Joconde , le Sacre de Napoléon par David, le Penseur de Rodin, etc. Était-ce « beau » ?   On nous le disait, mais nous n'en savions rien. Un paysage, un visage, un moment pouvaient être beaux, mais les beaux-arts en images nous laissaient froids. La beauté devait provoquer une sorte d'émotion et ce que contenaient les livres d'histoire ou de français était savant, rébarbatif.
Pour ma part, c'est en apprenant le latin que je me fis une idée de l'art, avec les petits dessins du dictionnaire Gaffiot, des dessins au trait, noir sur blanc, mal imprimés, peu soignés, certes. La plupart n'avaient aucun intérêt - une tête de César, un faisceau de licteur, un vase -, mais en cherchant bien, certains étaient captivants. Les auteurs du dictionnaire n'y avaient pas mis de malice, trop plongés dans leur matière pour la voir d'un oeil   neuf. Rome avait été Rome et le restait dans l'inconscient de tous. Il était difficile d'éviter Vénus, Eros ou Cupidon, Achille ou Diane. Ces figurines, de la taille d'un timbre-poste reproduisant des statues ou des mosaïques, étaient nues. Très chastes, mais moins vêtues que les rois de France en costume d'apparat. Et cela me suffisait pour en être troublé, compléter ce qui n'était pas montré, reconstituer la scène d'après la légende. Les déesses avaient des seins, des fesses, le peu qu'elles dévoilaient déclenchait une excitation érotique que j'associais à la beauté. Je ne concevais pas clairement ce que Léda faisait avec son cygne, mais je devinais bien les intentions de Zeus enlevant le jeune Ganymède.

Tillier
Les visites scolaires au Louvre me confirmèrent dans mon impression et des années après j'ai continué d'éprouver une forte attirance pour la statuaire grecque et romaine, dans les musées d'Espagne, d'Italie et au Vatican. Tous ces corps déhanchés, ces éphèbes et ces vestales - sans parler de l'hermaphrodite du Louvre, cette nymphe couchée sur son divan de pierre, dont on pouvait en se faufilant du bon côté voir, ô stupeur, le membre viril au repos -, faits pour l'amour, étaient d'une beauté exaspérante.
Je ne me souviens plus du moment ni de l'oeuvre qui m'ont permis de séparer le beau du désirable. Un tableau lié au rêve, probablement l'Embarquement pour Cythère de Watteau. L'érotisme n'est pas absent des rêves, mais dans une toile comme celle-là rien ne suggère directement la luxure, le plaisir est au mieux une terre promise. Il me devint ensuite possible de voir la beauté chez Rembrandt ou Poussin, dans les Ménines de Velasquez ou les pommes de Cézanne. De ressentir la dynamique d'un Kandinsky ou d'un Twombly. Un des tableaux les plus charnels que je connaisse est une nature morte de Zurbaran, à Pasadena, en Californie, trois fruits sur une table, dans une lumière surnaturelle, des citrons de l'Au-delà. Je ne renie pas au demeurant le mouvement automatique de ma tête et de mes yeux devant les Vénus callipyges de Naples ou de Rome, ni l'attrait violent des toiles du Caravage, j'ai simplement ouvert mon champ de vision à d'autres manifestations du beau.

Watteau

Zurbaran

Velasquez
Si le monde antique est une étoile lumineuse de mon univers esthétique, comme Vermeer, Zurbaran, Le Caravage, Goya (en oubliant quelques illustres...), je ne m'explique pas forcément mon penchant pour certains peintres inclassables ou moins haut placés par les experts. On m'accordera Jérôme Bosch (dont je me suis inspiré pour les enfers de L'Objet perdu de l'amour ), mais est-il raisonnable de faire un si grand cas de James Ensor ? D'oser citer encore ce charlatan de Dali comme un peintre majeur et un écrivain plutôt doué ? Et de ne pas être un dévot de Picasso dont je donnerais dix toiles pour un Matisse ? Aucune importance, en fait, je ne distribue pas   des lauriers, j'essaie de situer - sans échelle de valeur - les corps célestes qui se déplacent dans mon musée imaginaire et illuminent la nuit de mon univers personnel.

Scotty Castle
Pour être plus complet, je devrais mentionner les rues et les canaux de Venise, les villas du Lido, le jardin des monstres à Bomarzo, les maisons balnéaires de Lima, un hôtel gothique de Hollywood, le château de Scotty dans la Vallée de la Mort et les bars louches de Bangkok, tout lieux dont l'esthétique particulière s'est un jour inscrite dans ma mémoire et qui servent de décor à plusieurs de mes romans.

Bomarzo


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