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La Non-Personne, une enquête

Récit, Gallimard, 2000

Résumé :

S'inscrivant dans le cadre de la collection « L'Un et L'Autre » dirigée pat J.-B. Pontalis, ce texte n'est pas un roman ni un essai, mais plutôt une recherche sur la naissance en plusieurs étapes d'une figure bien réelle de mon imaginaire, la Non-Personne. J'ai choisi, pour ce travail d'archéologie fantasmatique intime, le terme d'enquête, emprunté au journalisme. Car il s'agit bien de cela tout simplement (même si les détours du chemin sont nombreux), une enquête sur l'origine d'une idée fixe ou folle, d'une notion peut-être construite sur une erreur de lecture, un malentendu, mais qui n'en a pas moins pris avec le temps une existence assez forte et consistante pour que je ne puisse pas ne pas en tenir compte. Au départ, un ami, Anton, me parle d'un article lu dans un journal suisse, mentionnant le culte étrange au Pérou d'une entité nommée Non-Personne, symbolisée par un bocal vide, une peau de serpent, sur un autel. Anton n'en sait pas plus. Je me rends au Pérou, parle de cette Non-Personne autour de moi, à des anthropologues, des religieux, etc. En vain. De même l'année suivante. Au troisième voyage, mes questions reçoivent un vague écho : celui de mes propres questions, bien sûr, qui ont déposé chez mes interlocuteurs le virus de la Non-Personne. C'est alors qu'il me semble entrevoir un début d'explication dans le fait que des travaux récents dans la cathédrale de Lima ont mis à jour un second squelette de Pizarre, ce qui pourrait avoir jeté une certaine confusion sur l'identité de celui que l'on conservait auparavant. Je retrace brièvement l'histoire de la conquête du Pérou par Pizarre et son compère Almagro jusqu'au meurtre de Pizarre en 1541. Peine perdue, Anton se souvient avoir lu son article suisse avant la découverte du « second » squelette en 1977. Je repars donc à zéro. Pas tout à fait, cependant : la Non-Personne a pris de l'existence entre-temps, elle est introuvable certes, mais elle a déjà un peu d'étoffe, ne serait-ce que par le temps que je lui ai consacré. C'est ainsi que les rêves acquièrent leur réalité, par l'attention qu'on leur prête, qu'ils ne nous rendent pas. Mon enquête, faute d'aboutir à un lieu de culte péruvien, ni même à l'article suisse initiateur de toute l'affaire (malgré un voyage à Zurich passé à éplucher les archives de la presse des années 1960-70), me conduit ailleurs, à la place vide laissée en moi par la mort d'un ami, l'absence de ma mère, cette forme en creux dans les draps de la mémoire où se loge au fil de la vie tout ce qui nous échappe.

Ce que j'en pense aujourd'hui:

Ce petit livre, venu de manière soudaine, comme Pérou, m'est particulièrement précieux dans la mesure où il m'a permis d'utiliser cette forme très libre de l'enquête. Par la suite, je reprendrai le titre et les fonctions de l'enquêteur, parfois détective de l'absurde et du chimérique (de même que Jerzy Kosinski définissait certains de ses personnages, de ses doubles, comme des « investisseurs », sans autre précision). De fait, chacun de nous enquête, investit ; les écrivains en font des livres. La Non-Personne souligne la récurrence du Pérou dans mon imagination, mon inconscient - un phénomène que je n'avais pas pressenti lors de mon premier voyage à Cuzco et Lima en 1977 et qui s'est peu à peu confirmé dans ma vie, mes amitiés et mes amours, sans que je sache pourquoi exactement. La beauté du Pérou touristique me touche moins que ses aspects rudes ou tristes, le brouillard de Lima, la mélancolie puissante de ses quartiers balnéaires ; j'aime la fantaisie décousue des amis que j'y fréquente, j'aime ne pas comprendre ce que j'aime dans ce pays qui tremble à l'autre bout du monde, ce qui s'appelle un charme.
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