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Retour à Miranda

Roman, Gallimard, 2003


Le roman se présente en quatre parties.
I : L'Homme qui écrivait décrit la ville de Pucallpa en Amazonie péruvienne, où un clochard assis à la devanture d'un salon de coiffure écrit interminablement dans des cahiers d'écolier. On ne sait qui il est ni ce qu'il écrit. Les clients du coiffeur chinois essaient en vain de l'espionner, le vagabond est un jour enlevé par deux hommes en gris venus de Suisse.
II : Une approche helvétique de la masse critique se situe à Zurich, dans la clinique psychiatrique de Montplaisir dirigée par le Dr Peters. Celui-ci traite des cas spéciaux, rebelles aux soins ordinaires. Il est assisté de Susan, une belle Colombienne (par ailleurs sa maîtresse) et de Heidi, une jeune fille suisse douée d'une grande intuition. Il en faudra beaucoup à celle-ci pour se débrouiller avec le nouveau malade qu'on lui confie, un faux amnésique baptisé le patient X, qui parle sans cesse d'un pays lointain, « là-bas », où il affirme l'avoir connue, elle, Heidi, et aimée. La clinique de Montplaisir est une émanation des laboratoires pharmaceutiques du groupe Eternité S.A. qui recherchent de par le monde les substances naturelles susceptibles de fournir les médicaments du futur. Le plus vaste réservoir de telles richesses est la forêt amazonienne, celle où le vagabond de la première partie écrivait. Susan, informée des activités occultes du groupe Eternité, fait sans peine la relation entre le clochard de Pucallpa et le patient X. Elle transcrit en secret le contenu des cahiers rapatriés avec lui à Zurich et confie son manuscrit à Cyril, l'amant de Heidi. En même temps, elle expédie cette dernière au Brésil avec le patient X, avant de trépasser.
III : La Destruction de Miranda est le résumé des cahiers du patient X, de son vrai nom Ulysse Boléand, citoyen franco-suisse au service d'Eternité S.A., chargé de prospecter l'Amazonie et sa flore, de déterminer l'endroit le plus propice aux activités prédatrices du groupe. Il y raconte comment il est arrivé un jour dans la petite république de Miranda où, au vu des rapports qu'il a fourni au groupe, celui-ci lui a donné l'ordre de séjourner. Miranda, selon les critères d'Eternité S.A. est un lieu idéal, dont la flore est prometteuse (d'autres puissances étrangères s'y intéressent déjà, sous couvert de missions religieuses ou linguistiques) et les structures politiques assez faibles pour être disloquées sans difficultés. A Miranda, Ulysse tombe amoureux d'une jolie Felicidad, devient l'ami de son frère Manuel, et découvre une société sensuelle et fragile à laquelle il s'attache plus que ne l'avait prévu ses commanditaires. De complots en révoltes diverses, l'instable Miranda est néanmoins « fragmentée » et Ulysse s'enfuit dans la forêt avant de trouver asile à Pucallpa, déguisé en clochard et rédigeant ses mémoires comme on l'a vu dans la première partie.
IV : Comme avant montre l'effet dévastateur des mémoires d'Ulysse. Le jeune Cyril a donné le manuscrit de Susan à un journaliste français, Aliocha, et sa publication a provoqué en Suisse un scandale autour d'Eternité S.A. Aliocha s'est rendu en Amazonie, sur les traces de Heidi et d'Ulysse, l'ex-patient X, a recueilli leurs propos, les a joints au manuscrit de La Destruction de Miranda , et reconstitué ainsi le récit à plusieurs voix que le lecteur tient entre ses mains.

La critique  :

Contrastée, déroutée. À ma grande surprise et déception, peu de lecteurs   professionnels semblent avoir perçu le caractère réel et actuel du sujet : le pillage de la planète et des pays pauvres par les multinationales (ici dans le domaine de la recherche pharmaceutique), les espoirs qu'elles font naître et les profits qu'elles accumulent sous couvert de missions pieuses ou humanitaires. Un thème qui par ailleurs rassemble fréquemment des manifestants par centaines de milliers lorsque l'on évoque les OGM, la déforestation, les déplacements de populations ou les dictatures bananières. José Bové n'écrit pas de romans et l'écologie n'est peut-être pas un bon sujet de fiction. Pas encore.

Ce que j'en pense aujourd'hui  :

Le résumé peut sembler plus complexe que ne l'est ce roman construit comme un policier à tiroirs multiples, par strates de révélations successives. Il est vrai que j'ai commencé par écrire la troisième partie, telle une chronique d'un pays de cocagne, avant la deuxième qui lui donne son écho politique, puis de conclure par la première et la quatrième qui les organisent et règlent la question du « point de vue » du narrateur (Qui parle, ici ?). Je me suis écarté, à mes risques et périls, des voies de l'auto-fiction et du minimalisme ambiant qui sont encore à la mode en France et dont l'étroitesse me pèse. En littérature, rien ne sert d'aller contre son tempérament. Comme dans L'Interprétation des Singes , j'ai utilisé les procédés du feuilleton et du roman d'aventure pour interroger les ambitions de la science (médicale, notamment) et les dangers qu'elle représente pour la nature. Ce qu'on appelle le « bio-piratage » n'est pas une invention de ma part, mais une pratique très courante, dont l'histoire du caoutchouc « volé » aux Brésiliens par les Anglais en 1876 reste l'exemple le plus fameux. Il n'est pas sûr que ces thèmes (ou ma façon de les aborder) aient été en phase avec les préoccupations du grand public, pourtant sensible à la beauté de « la terre vue du ciel » et confusément inquiet de l'avenir de l'environnement. Si l'on considère le succès ou l'insuccès d'un ouvrage sous l'angle d'un échange marchand, il faut admettre que le public n'a jamais tort (c'est l'artiste qui a mal visé, trop tard ou trop tôt, à côté). Mais si l'on ne peut se résoudre à suivre les recettes au goût du jour, par ennui ou incapacité, on doit accepter qu'à l'évidence la rencontre d'un livre et de ses lecteurs potentiels relève largement du hasard.

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