Le 27 août 2005

Du bon usage de la RLF

La rentrée littéraire française, en abrégé RLF, crise automnale d'écoulement éditorial abondant, bien repérée par les météorologues culturels du monde entier, est-elle un syndrome grave ? Selon une étude récente relayée par Le Monde, on observe dans d'autres pays, sous une forme atténuée, un phénomène semblable, qui s'apparente au retour cyclique d'El Niño. Chez nous, où la vague romanesque de septembre et octobre dépasse les 600 titres, il est devenu de bon ton de s'alarmer de ce tsunami de papier qui menace nos critiques les plus chenus vivant en rez-de-chaussée. Ces notables, après avoir eux-mêmes bénéficié de cette bonne fille de RLF pour parvenir aux commandes, prétendent s'arracher des cheveux qu'ils n'ont plus, alors qu'ils ont déjà revendu à leur soldeur habituel tous ces volumes qu'ils commenteront plus tard. Que ceux qu'un tel exercice fatigue rendent leur tablier, il y a plein de jeunes non blasés, sans emploi et sans aigreur.

La RLF est une exception hexagonale, soit. Mais franchement, est-ce que ça vous fait mal ? Où donc, précisément ? Nausée de nantis : ce n'est pas chez les pauvres de ce monde ni sous les dictatures qu'on souffrirait de la RLF. Aucun Albanais, aucun Chinois, aucun Somalien ne se plaint de la RLF. Il faut être gavé et goutteux comme Louis XVIII pour gémir devant la marée : des huîtres, toujours des huîtres...

On objecte que la RLF charrie de tout, de l'or et de la boue. Et alors ? Un bref recul dans l'histoire des lettres montre que ni les éditeurs, ni les critiques ni les lecteurs n'ont fait en leur temps le « bon choix », celui que nous faisons maintenant. Qui aurait parié sur l'avenir de Rimbaud, de Saint-Simon, de La Fontaine ou de Sade ? Deviné la disparition immédiate d'Anatole France, Jules Romains ou Barrès ?

Et la RLF a ses vertus. Elle justifie les salaires de maints parasites. Elle muscle les libraires. Elle donne surtout de l'espoir à beaucoup de rêveurs que le miroitement d'une publication sauve du suicide. A tort ou a raison, qu'importe : tant d'anonymes satisfaits, niais ou géniaux que nous n'aurions jamais connus sans la RLF !